La Journée Mondiale de la Pêche a été instituée à New Delhi, en Inde, le 21 novembre 1997, quand, pour la première fois, des représentants d’artisans pêcheurs traditionnels et de travailleurs du secteur de la pêche de 32 pays se sont réunis pour créer leur organisation internationale. Ils s’engagèrent alors à soutenir des politiques et des pratiques de pêche durables et la justice sociale au niveau global.
Pour se rendre compte de l’importance de célébrer la Journée Mondiale de la Pêche, il suffit de considérer les données de la FAO de 2016, qui indiquent qu’à cette date 59, 6 millions de personnes, dont 14% de femmes, travaillaient dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture (à temps plein, partiel ou occasionnel). La grande majorité de la population engagée dans ces secteurs se trouvait en Asie (85%), suivie de l’Afrique, de l’Amérique latine et des Caraïbes, fournissant quelque 171 millions de tonnes de poissons sur le marché global et engendrant une valeur de première vente estimée à 320 milliards de dollars. Les chaînes globales de valeur du poisson, qui incluent la production, le traitement, la distribution et le commerce du produit servent à l’alimentation d’environ 820 millions de personnes. La consommation de poisson procure environ 20% des protéines animales à près de 3, 2 milliards de personnes.
Ces chiffres significatifs révèlent l’importance et la contribution des secteurs de la pêche à la sécurité alimentaire, à la croissance économique et à la réduction de la pauvreté. Ils cachent cependant des problèmes innombrables et persistants. Tout en haut de la liste, en plus des abus physiques et verbaux, nous trouvons l’exploitation massive des pêcheurs, y compris de nombreux cas de travail forcé, le trafic d’êtres humains et les disparitions en mer. Nous pouvons voir des liens directs entre ces abus et l’utilisation de pavillon de complaisance, la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (IUU) et le crime transnational. En outre, nous ne devons pas oublier le défi de la durabilité des stocks marins, la pollution et d’autres problèmes environnementaux.
Au milieu de cette réalité inquiétante et douloureuse, les travailleurs de la pêche demandent de l’aide et nous, comme Église, nous ne pouvons ni ne pas entendre, ni nous taire.
À l’occasion du 70ème anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (D.U.D.H.), nous voulons réaffirmer le principe de l’Article 4 selon lequel «Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes ». En plus nous voulons réaffirmer l’Article 23 :
- Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage.
- Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal.
- Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale.
- Toute personne a le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
Ces droits fondamentaux du travail sont des droits humains et doivent être aussi des droits des pêcheurs !
Conscients des nombreuses problématiques présentes dans le secteur de la pêche, les pays membres des agences spécialisées des Nations Unie[1] ont approuvé et adopté divers instruments internationaux qui, s’ils sont ratifiés et appliqués par tous les États, pourraient radicalement changer la vie des travailleurs de la pêche et de leurs familles, ainsi que le milieu environnemental des ressources de la pêche.
L’industrie de la pêche, considérée par beaucoup comme la principale responsable des difficiles conditions de travail et de vie des pêcheurs, est engagée dans la recherche de solutions à ces problèmes à travers la certification des produits de la pêche, tandis que la société civile et les consommateurs invitent les revendeurs à se montrer davantage responsables dans leur activité et à être plus vigilants tout au long de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.
Toutefois, la lecture des informations rapportées par les médias sur la question et surtout l’écoute des aumôniers et des volontaires de l’Apostolat de la Mer dans le monde entier, semble faire ressortir que tous ces efforts ne suffisent pas. Le nombre de Gouvernements ayant ratifié les instruments internationaux est encore trop faible et, en certains endroits, l’industrie de la pêche continue à souffrir des politiques n’obéissant qu’à la recherche du profit.
En tant qu’Église, nous voulons rappeler l’exhortation du Pape François, que la personne doit venir avant le profit : « … Derrière toute activité, il y a une personne. […] La centralité actuelle de l’activité financière par rapport à l’économie réelle n’est pas due au hasard : derrière cela il y a un choix de ceux qui pensent, de façon erronée, que l’argent se fait par l’argent. L’argent, le véritable argent, se gagne par le travail. C’est le travail qui confère à l’homme sa dignité, pas l’argent »[2].
Alors que nous célébrons la Journée Mondiale de la Pêche, dans l’intention d’accroître la clairvoyance sur la situation des pêcheurs et de créer des changements fondamentaux dans leurs vies, nous voulons nous adresser aux agences internationales afin qu’elles unissent leurs efforts en mettant de côté les différences, les antagonismes et les rivalités pour définir une feuille de route menant à une large ratification et application des instruments internationaux. Cette coopération devrait être poursuivie au niveau global, régional et local et garantir l’implication de la société civile, de l’industrie et des vendeurs, des ONG, des syndicats et de l’Église.
En travaillant ensemble, nous pouvons faire cesser la traite d’êtres humains et le travail forcé en mer, améliorer les conditions de travail et de sécurité et combattre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (IUU), dans l’espoir de créer un secteur de la pêche durable du point de vue social, écologique et commercial.
Il s’agit d’un grand défi, mais c’est aussi l’unique espérance que nous avons pour réaffirmer « le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales »[3] dans l’industrie de la pêche globale.
Cardinal Peter K.A. Turkson
Préfet
[1] Organisation Maritime Internationale (OMI), Bureau International du Travail (BIT) et Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO)
[2] Interview du Pape François: https://www.ilsole24ore.com/art/notizie/2018-09-07/intervista-papa-francesco-i-soldi-non-si-fanno-con-i-soldi-ma-con-il-lavoro-114036.shtml?uuid=AEf2V5lF
[3] Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, Préambule